Dès le début de l’année, des postes allemands puis russes occupent la maison Pasquier aux Reisses d’En-haut, et la maison du Garde-barrière aux Reisses d’En-bas. Les groupes qui s’y succèdent pour la surveillance des ponts et des tunnels se font vite remarquer par leurs excentricités et leurs brutalités. Ils entrent chez les gens et se font servir à boire. Ils menacent de leurs armes. ils s’enivrent et tirent des coups de feu. Ils vont jusqu’à faire violence.
Le 15 Mars chez Combaz Auguste ils fouillent partout, le 19 mars c’est chez Généreuse Rollet qu’ils récidivent de 9h du soir jusqu’à 1h du matin. Ils s’acharnent sur elle qui crie au secours, mais personne n’ose la secourir, elle décédera quelque jours plus tard. Ils établissent dans le pays un régime de terreur que nos interventions auprès la Kommandantur font cesser momentanément.
Le 9 Avril jour de pâques, les russes fouillent de nombreuses habitations, ils tirent des coups de fusil. Un russe brise la crosse de son fusil sur la tête de Bernard d’Albiez le jeune.
En Mai et Juin, la situation est tendue. Les alertes se succèdent. Les bombardements se rapprochent. (St Michel est bombardé le 4 Juin). Les gens de la plaine évacuent. L’école ne fonctionne que par mi-temps. Les parachutages d’armes à Fontcouverte et dans les Arves énervent nos occupants.
Le 7 juin, une véritable chasse à l’homme a lieu dans la forêt de la Ravoire : un groupe de jeunes, faussement alertés, veut gagner la montagne et se fait prendre
en chasse par les deux postes russes des Reisses. Beaucoup de frayeur, mais pas de dégâts.
Le 7 Juillet, nous apprenons avec stupéfaction que la famille Pidal Félicien a été emprisonnée. Parce qu’ils tenaient à jour une carte des opérations militaires, peut-
être l’occupant a-t-il cru avoir à faire à des officiers d’Etat-major ! Toujours est-il que l’émotion fut grande aux Reisses, car le village fut soumis à une perquisition
en règle. Quelques jours plus tard, ils nous revenaient tous les trois.
Août 1944- Pour conserver leur jonction avec l’Italie du Nord, il leur faut, coûte quecoûte, se maintenir en Maurienne «vallée maudite, hantée par les maquisards».
Le Haut Commandement fait venir d’Italie des formations d’élite empruntées aux SS de la 90ème PANZER rattachées à l’AFRICA - CORPS du Maréchal Rommel.
Ces troupes appliqueront des procédures de combat d’une ignoble sauvagerie en violation de toutes les lois de la guerre dont la Maurienne et notre commune auront tant à souffrir. De furieux combats se déroulent dans la vallée entre les soldats allemands et les F.T.P (Francs Tireurs et Partisans Français).
Le 23 Août, dans l’après-midi, les habitants de Villargondran voient s’embraser en quelques minutes, en face d’eux le village de Villarclément. Le soir, vers dix-neuf heures trente, ce sera leur tour. Des soldats allemands arrivent au chef-lieu et malgré le courage et l’abnégation de l’abbé RECHU, ancien prisonnier de Rawa Ruska qui implore leur clémence et se propose comme otage, ils commencent à allumer à la main des incendies dans divers points du chef-lieu et au hameau des «Anciennes Resses». Alimentées par le foin entassé dans les granges, les flammes gagnent rapidement. Au bout d’une demie-heure, le chef-lieu et les Anciennes Resses ne sont plus qu’un immense brasier. Ramassant à la hâte leur argent, quelque objets et vêtements, les habitants de Villargondran (hommes, femmes et enfants) s’enfuient dans la nuit qui commence à tomber et se réfugient dans la forêt, aux Villards ou à Albiez le Jeune.
Le 24 Août, dès l’aube, les gens reviennent à leur maison, les uns pour constater que le feu l’a épargnée, d’autres pour pleurer près des ruines de ce qui fut leur foyer. Le spectacle est lamentable, de voir ces gens se premener muets de stupeur au milieu de ces ruines fumantes. Des foyers d’incendie persisteront encore plusieurs jours.
Nous faisons le bilan du désastre 40 foyers sont sinistrés totalement au chef-lieu ; 18 propriétaires d’Albiez ont perdu leur cellier. A ajouter à cela de nombreux sinistrés partiels. Plus de la moitié du village a été anéantie. Au Reisses, 26 foyers sont anéantis, auxquels viendront s’ajouter les huit autres foyers brûlés le 2 Septembre. Deux propriétaires d’Albanne ont perdu leur cellier. Au total 250 personnes sans abri et sans ressources. Rares sont les familles qui ont eu l’idée et le temps de sauver des meubles ou de la literie. Ce matin du 24 Août, la plupart se trouvent devant leur maison encore fumante, avec les quelques effets emportés au dernier moment. Les sinistrés trouvèrent leur premier secours chez leurs voisins épargnés. Il y eut des gestes magnifiques d’entraide. Une soupe populaire est installée au Villards et chacun attend dans l’anxiété la fin du cauchemar. Les premiers secours s’organisèrent immédiatement sous la direction de M. Jules Robert, de M. Rollet Jean, maire, et de M. le Curé. La salle paroissiale fut transformée en soupe populaire qui, dès le 24 à midi servit ses premiers repas. Grâce à M. le Curé des Plans et à M. Faure boulanger, il y eut du pain presque à volonté. Les occupants en retraite, pour décharger leur voiture trop pleine, avaient abandonné des sacs de farine le long de la route. Ces balles de farine furent récupérées et le boulanger en fit du pain pour nos sinistrés.
Le 29 Août, la deuxième compagnie de l’Armée Secrète, renforcée de quelques éléments de la compagnie «Stéphane» arrive de l’Isère par les cols du Glandon et de la Croix de Fer et, attaque à partir des Villards et du chef-lieu. Un jeune maquisard est tué et son cadavre transporté dans la maison de ROLLET Joseph - Gabriel aux Villards où il restera plus de 2 jours. Le lendemain soir, un déserteur de l’armée allemande qui a rejoint les troupes de la résistance s’installe avec son fusil mitrailleur dans l’ancien cimetière, au pied du clocher. Il tirera toute la nuit sur les soldats allemands cantonnés aux «Plans» et sera tué à l’aube par des obus allemands qui endommageront gravement le clocher et l’église. Plus de deux cents coups de canon seront tirés par cette batterie ennemie des Plans sur cette compagnie dans la forêt de Villargondran et dans la gorge du Rieubel.
Des secours, ustensiles de cuisine, literie, couvertures, ravitaillement, nous arrivèrent de l’usine A.F.C., par M. Jules Robert, et de la S.N.C.F., par M. Mandray.
Le va et vient routier s’intensifie, ce sont les Afrika-Korps chargés de protéger la retraite et de tout détruire derrière eux. Pour cela, les mulets sont réquisitionnés de force. C’est ainsi qu’Exartier Jean-César, de la Garottière, voit partir son cheval. Sur la route, des convois hippomobiles se suivent. Ce sont les attelages réquisitionnés dans la basse Maurienne. Et nos vainqueurs d’hier les suivent à pied ou en bicyclette. De nouveaux Alliés font leur apparition à Saint-Jean à côté des Allemands. Ce sont les «Miliciens» dont les procédés écoeurent profondément les gens, pillages, ou beuveries, etc.
Les spécialistes qui avaient opéré pour détruire l’usine de la Camargue, se sont transportés à l’usine du Bochet, et les mêmes infernales explosions se font entendre. Vers le soir, l’usine flambe, puis ce sera le tour de Calypso. Les ponts sautent les uns après les autres. Des équipes travaillent, sans relâche à les miner.
1er Septembre, un conseil de guerre se tient au Villard. Il y a le lieutenant Bernardy, dit Michel, commandant la 2ème Cie d’A.S. de St Jean ; il y a ses adjoints, les
lieutenants Barriai et Jacob, l’adjudant Truchet, il y a surtout le capitaine Stéphane accouru en renfort avec son bataillon du Grésivaudan. C’est lui qui va bousculer les conseils de prudence que dictaient au lieutenant Bernardy et au Capitaine Gerlotto la férocité de l’adversaire et la peur de représailles sur les villages voisins qui avaient déjà tant souffert.
Ordre est donné d’évacuer Villargondran. C’est ainsi qu’à la nuit tombante, nous regagnons le Villard, croisant dans tous les sentiers, les divers groupes, guidés par les jeunes du pays, qui allaient occuper leurs positions, 250 hommes environs, bien armés. Les divers groupes prennent position depuis le Replat jusqu’aux ruines du Château de la Garde. Les sections Barriai et Jacob, depuis le Replat garderont la Route Nationale, et feront du beau travail. Les sections Stéphane occupent l’arête du Château de la Garde et les environs. D’autres groupes sont éparpillés à travers les vignes. Et la Maison Blanche deviendra un poste de secours. Maudray François et Exartier Roger assureront la liaison téléphonique depuis le presbytère.
Le 2 Septembre à 6 heures, un coup de revolver fut le signal d’ouvrir le feu. La bataille commence, et la riposte allemande ne se fait pas attendre : des pièces de 150 et 77, des mortiers sont mis en position vers les fermes Tétaz et derrière le passage à niveau. Un officier d’artillerie a installé son observatoire dans le grenier de la boulangerie Faure. L’un des premiers obus est pour le clocher. Les frisés ont dû croire qu’il servait d’observatoire. La détonation fit tinter les cloches, mais seul, un pan de mur fut endommagé. Plus de 200 coups furent tirés sur Villargondran, à travers la forêt, même jusqu’à Albiez. Les points de chute les plus repérés furent les environs de l’église
et la Saussaz.
Vers midi, une section du capitaine Stéphane, après avoir été copieusement arrosée d’obus, il y eut un mort Zurkinden Louis,(stèle située au virage des Curiet) dût se replier vers le Goléron, ce qui jeta l’alarme parmi les spectateurs du Villard. Le bruit se répandit que les Allemands montaient vers Villargondran. Un sauve-qui-peut général se déclencha vers Albiez. Aux crêtes d’Albiez, un nouveau spectacle nous attendait. Les Reisses d’En-bas flambaient. Les allemands y avaient mis le feu avec leurs balles incendiaires. Aussi à quelques heures de la libération, 9 nouveaux foyers venaient s’ajouter à la liste déjà longue des sinistrés. Bientôt tout Villargondran se retrouva à
Albiez, en proie à l’inquiétude.
Vers cinq heures, nous entendîmes les cloches de St Jean, puis celles de Fontcouverte. Enfin la libération ! N’eût été la pluie qui tombait à flots, la plupart auraient voulu redescendre de suite. Il fut convenu que demain dimanche une messe matinale serait dite, après laquelle nous irions sonner nos cloches. Nous étions libérés ! Mais à quel prix pour nos malheureux villages. Pas de victimes civiles, cependant, deux morts parmis nos F F I et un blessé léger : Constant Rège. L’église, l’école, la mairie, le presbytère, la Maison Blanche eurent particulièrement à souffrir du bombardement. Le hangar des pompes avait été arraché.
Sources Bulletins paroissiaux de l’époque - J. Duc
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